De 1940
En réponse à un post de Jean-Dominique Merchet et inspiré de l’article célébré de David Reynolds.
Parce que parfois, au risque de la prétention, je me laisse à une poésie impitoyable…
Je suis un Américain né en France. Je dois avouer que parler avec mes compatriotes des U.S.A. à propos de 1940 et la Bataille de France est une expérience souvent déprimante. Ils ne comprennent pas la réalité de cette 'étrange victoire' allemande très surprenante, le fait d'une défaite alliée (et non seulement française), le sacrifice de ces dizaines de milliers de Français morts pour un monde libre, les dilemmes inévitables d'une France occupée pour laquelle la défaite allemande n'est ni probable ni prévisible sauf dans un futur très lointain.
Pour la culture 'populaire' américaine, la défense française est une mauvaise blague. Pour beaucoup la France de 1940 n'est qu'un lâche effémine qui se rend à la première occasion et se transforme en pute prête à se donner au maître nazi.
J'avoue - tout en reconnaissant les excès gaullistes et franco-centriques - que ce genre de discours me rend furieux.
Oui, la France de 1940 est politiquement divisée, économiquement médiocre, et dotée d'une doctrine militaire archaïque. Mais après tout, qu'ont fait les Belges avec leur naïve neutralité, les Américains avec leur isolationnisme myope, et les Anglais avec leurs dix divisions terrestres, une force qui, malgré la puissance économique britannique et leur vaste empire, représentait la moitié de celle de la petite Belgique ? Ce ne fut pas les seules erreurs et la seule défaite de la France.
Il faut un révisionnisme massif pour défaire les mythes gaullistes, pétainistes, résistants, britanniques, américains et allemands. La France a fait – avec toutes les difficultés des situations internes et internationales – son devoir. Elle a mené les Alliés à infliger plus de 150,000 pertes aux Allemands – blessés, morts et disparus – avant de céder lors de cette campagne fulgurante face à la concentration de force mécanique et aérienne de l’ennemi. Ses armées furent entourées en Belgique, ses soldats furent capturés par millions, Churchill réussit à transformer fuite en victoire à Dunkerque, et le territoire français fut ouvert pour une occupation longue et rude.
La France avait échoué. Et, comme l’historien britannique David Reynolds le soutient, se fut un tournant - peut être le grand tournant - du 20ème siècle. Les conséquences furent immédiates et catastrophiques: neutralisation de la flotte et l’empire français, participation de l'Italie a la guerre, début de la marche sudiste du Japon dans l'Indochine, étalement dangereux de la flotte britannique, et, enfin, domination nazie du continent européen. Sans 1940, il est tout a fait concevable que la deuxième 'Grande Guerre' reste une guerre limitée, européenne, sans hégémonie maléfique et sans génocide.
L'événement aura pour conséquence les heures les plus sombres du 20ème siècle. La catastrophe fut d’autant plus tragique parce que évitable. Des hommes bons de part en part l’Europe et le monde avaient échoué dans leur devoir. Et cela, c’est important. Si l'on en rit, on n’a pas conscience de la tragédie et, en vérité, on se moque de la tyrannie nazie, de la Shoah, et des 50 millions de morts victimes de cette guerre aussi absurde que toute les autres… Et que la France fut la gardienne en Europe de cette fragile équilibre et cette précieuse liberté.
Une tragédie aussi, parce que la France elle-même fut corrompue par la défaite. Elle céda au réconfort d'un prestigieux despotisme et vit le triomphe des pires tendances de l'anti-sémitisme français. Il ne faut pas rire de 1940, ni oublier cette année noire, mais s'en souvenir et y réfléchir pour prendre conscience du véritable fardeau, cette grande et terrible responsabilité, que la France portait pour la paix et la liberté. Ce fardeau que tout homme libre et pensant doit porter toujours, aujourd'hui et partout, dans son esprit et dans son cœur.
Labels: David Reynolds, Fall of France, World War 2
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